Eloge spirituel de la patience
le 15 mars 2023Le père Ludovic Frère vient de commencer un doctorat à Rome sur les aspirations spirituelles des adolescents. Auparavant recteur du sanctuaire Notre Dame du Laus, pendant douze ans, il a côtoyé un certain nombre de pèlerins en quête d’éclaircissement sur leur vie spirituelle. C’est pour prolonger cette réflexion qu’il a répondu à l’appel des éditions Artège et écrit un livre sur la patience.
Bonjour mon père. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ce sujet, la patience, vous tenez tant à cœur ? Benoîte Rancurel, voyante du Laus, a-t-elle été une source d'inspiration ?
J’ai été interpellé à la fois par certains pèlerins, exténués par leur rythme de vie, à Notre Dame du Laus, mais aussi par l’actualité de ces messages datant de l’époque de Louis XIV. Des seize sanctuaires d’apparition mariale reconnus dans le monde, ce sont les apparitions les plus longues : cinquante-quatre années. Qu’est-ce que cela apporte de plus ? Il y avait sûrement une réflexion à avoir sur le temps, en partant des messages et des attentes des pèlerins venant dans ce sanctuaire.
Quelles sont les causes d'impatience les plus courantes et quelles en sont les raisons ?
Cela me semblait important de les identifier pour mieux nous comprendre nous-même mais aussi pour accepter les impatiences éventuelles des autres. Ces causes peuvent être purement physiologique. Lorsque je suis fatigué, je suis davantage impatient. Le remède est simple, il faut aller se coucher. Cependant, il y a des causes d’impatience qui peuvent être beaucoup plus ancrées dans un comportement égocentrique. Et d’autres liées à ce que l’on est en train de vivre.
Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. St Paul.
Vous proposez de laisser la patience s'immiscer en nous mais comment accueillir l'imprévu ?
Le Grand Patient, c’est le Christ. La patience n’est pas seulement une vertu, un effort, une décision personnelle mais elle nous permet d’accueillir le Christ dans nos vies et de laisser l’Esprit-Saint agir en nous. Pas à notre place, mais par nous. Dans le mot patience, il y a aussi l’idée de pâtir. Il y a forcément quelque chose qui est de l’ordre de la souffrance. Le Christ a souffert mais a tout offert dans la patience. Passion et patience, ces deux mots ont d’ailleurs la même racine.
Vous avez notamment écrit : On ne me prend plus mon temps, c'est moi qui le donne. Comment sublimer la patience ?
Je perds mon temps. Dès qu’il est dans une logique de possession, l’être humain est dans une tentation d’agressivité, dans une peur qu’on lui prenne ce qui lui appartient. Si nous considérons le temps comme une propriété personnelle, nous décidons nous-même à quel moment nous acceptons de le donner, de le prêter. Nous déterminons aussi à quel moment nous refusons qu’il nous soit pris. Cette phrase est une adaptation de la parole du Christ : Ma vie, personne ne la prend, c’est moi qui la donne. Il ne subit pas sa Passion mais il l’offre. Je crois que dans la patience, il y a cette même réalité, ne pas subir notre temps mais l’offrir.
Dans nos Maisons d'Alliance, comme dans la vie familiale ou communautaire, il y a cohabitation. Comment la patience peut-elle nous amener à supporter (aux deux sens du terme : subir ou entraîner) les autres ?
Je ne sais pas si cela fonctionne dans d’autres langues, mais en français il existe ces deux dimensions de supporter. C’est beau de ne pas s’arrêter à la première, qui est une manière de supporter en serrant les dents, mais de passer à la seconde qui est une manière de soutenir. En grec, on fait la différence entre le chronos et le kairos. Autrement dit, entre le temps qui file et celui qui est vraiment favorable pour vivre quelque chose. Quand on est dans la logique de temps qui file, il y a la pression de ce temps qu’on ne maîtrise pas, qui nous échappe. Tandis que dans la logique du kairos, le temps dans notre vie n’est pas une succession de petits événements chronologiques mais elle est une irruption de Dieu dans nos vies. C’est là qu’il faut saisir cette irruption. Plutôt que de subir un temps passé avec une personne ennuyeuse, j’accepte de le donner. Je me dis que le Seigneur m’y attend. C’est souvent là que sont vécues les plus belles choses de nos vies, les plus belles rencontres. Inattendues et édifiantes.
Vous dîtes cependant qu'il existe de bonnes impatiences. Pouvez-vous nous aider à les discerner ?
Je vois trois grandes impatiences chez le Christ. Celle devant les marchands du temple où il ne commence pas par dire : « Voilà, nous allons faire une commission-temple pour discerner ce qui est bon ou pas ». Non. Il prend un fouet et balance tout. C’est une vraie forme d’impatience. La deuxième, c’est quand ses interlocuteurs ont du mal à entendre ce qu’il dit. Enfin, la troisième, c’est cette attente qu’il formule en disant : Comme il me hâte que ce feu vienne sur la terre. Une impatience d’accomplissement de sa mission. Or, ces grandes impatiences ne sont pas égocentrées. C’est peut-être là le grand critère, suis-je impatient pour moi, pour Dieu ou pour les autres ? Si c’est pour moi, j’ai intérêt à faire un vrai travail sur moi-même. Si elles concernent Dieu ou les autres, il faut tout de même discerner la façon dont cette impatience va pouvoir s’exprimer, même si elle a quelque chose de positif.
Vous parlez aussi de la patience de Dieu Créateur. Comment nous imprégner de cette patience présente dans la Bible ?
D’abord en contemplant. En ôtant la réflexion intellectuelle propre à notre monde occidental. Il est important de contempler cette patience de Dieu, de s’en émerveiller, de l’en remercier, de pouvoir lui dire qu’Il n’est pas extérieur à moi mais qu’Il est en moi. Ainsi, je peux m’imprégner de cette patience en la contemplant pour la laisser m’habiter. Nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est en étant patient que nous lui ressemblerons le plus. Nous sommes tellement peu de choses que l’on pourrait se considérer comme n’étant rien. La patience que Dieu a pour nous met en valeur le prix que nous avons à ses yeux.
Nous sommes peut-être aussi appelés à ne pas impatienter les autres. Vous citez une phrase d'Éric Fiat qui m'a particulièrement interpellée : Le statut moral et social de celui qui attend n'est pas le même que le statut moral et social de celui qui fait attendre : faire attendre, apanage de la puissance. Comment ne pas impatienter les autres ?
Il y a plusieurs choses dans le fait de ne pas impatienter les autres. Ne pas les faire attendre, par exemple. Dès que je fais attendre quelqu’un, j’exerce une forme de puissance, de supériorité. Suis-je quelqu’un de plus important que les autres ? Il me semble que notre époque est intéressante pour cela. Les puissants, qui se croient importants, ne sont plus mis sur un piédestal. Les puissants jouent encore les puissants mais cela ne passe plus, notamment dans l’Église.
Pour ne pas impatienter les autres, il est nécessaire de faire attention à la manière dont je me comporte envers eux. Laisser la grâce de Dieu convertir ce qui les agace. Parce que ce qui les agace a plus de chance d’être proche du pêché que de la vertu.
Le plus beau jour de la fête, c'est la veille. Vous citez ce proverbe africain. Comment la patience peut-elle donner un sens à l'attente et comment peut-elle faire grandir le désir ?
Il me semble que l’impatience est un gâchis parce qu’elle ne permet pas aux belles choses d’arriver à éclore. Jésus emploie souvent les images de la nature. Si l’on cueille en fleur, l’arbre ne donne pas de fruit. S’il y a une impatience particulière de nos jours, c’est sans doute aussi parce que nos rythmes de vie sont artificiels. On ne sait plus attendre. On est dans une logique boulimique du rapport aux choses, aux événements. Redécouvrir que la patience est quelque chose qui va permettre de faire grandir le désir, cela semble essentiel. Dans l’éducation des enfants, il faut éduquer au désir, donc à la frustration. Cela donne du sens et permet d’ordonner les choses, de faire une sélection entre les vrais désirs et ceux qui ne sont que passagers.
Pour finir, comment la patience du quotidien peut-elle nous aider à être plus fort dans les épreuves ?
C’est toujours délicat de parler des épreuves. Chacun les vit de manière très personnelle et cela touche des choses très profondes. Comme croyant, nous avons d’abord cette espérance d’un déploiement éternel de nos vies qui offre une perspective par rapport à ce que l’on peut vivre de difficile au quotidien. Il y a aussi le partage. Je peux me mettre en communion spirituelle avec tous ceux qui attendent la même chose que moi ou qui vivent des choses difficiles à porter. Je peux offrir quelque chose de ma douleur du moment pour soutenir mes frères et sœurs qui sont dans la même attente et qui n’ont peut-être pas la même force spirituelle que moi. Par mon intercession, ils vont peut-être tenir un peu plus. C’est une question d’ouverture, soit on ouvre vers un déploiement éternel, soit on ouvre vers les autres. Si on ne se concentre que sur soi-même, on ne parvient pas à être fort dans l’épreuve, parce qu’on est tout seul.
Le livre est édité aux Éditions Artège, vous pouvez le trouver en libraire ou le commander ici.
Propos recueillis par Sibylle Goudard