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Donner encore un sens à sa vie !

Donner encore un sens à sa vie !

le 30 juin 2023

Entretien avec le Dr Philippe Raynaud de Prigny

Vous êtes psychiatre à l’Hôpital de Thuir (Pyrénées-Orientales). Pouvez-vous nous parler de vos spécialités ?

Psychiatre depuis 30 ans, je dirige actuellement un pôle au Centre hospitalier de Thuir. Je m’appuie sur la psychiatrie innovante, basée sur des données scientifique ainsi que sur des traitements psychothérapiques du traumatisme psychique par l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). Cette méthode repose sur le mouvement de l’œil. Le patient est invité à se concentrer sur le souvenir traumatisant et toutes ses composantes : sensation, émotion, pensée négative sur lui. Il est invité ensuite à suivre le mouvement des doigts du thérapeute, laissant venir ce qui lui vient spontanément pendant que la personne se reconnecte à l’évènement traumatisant par la pensée. Grâce à cette stimulation, on obtient un décodage des souvenirs semblable à celui qui se déroule durant le sommeil paradoxal. Cette thérapie fait partie des thérapies d’hypnose qui permettent de reprogrammer le cerveau en agissant sur les neurones. Cela permet de diminuer les symptômes associés au stress post-traumatique et d’augmenter la confiance en soi.

Je suis en ce moment dans un mouvement qui crée des équipes d’Intervention Précoce (e-DIP). Des équipes qui peuvent intervenir tôt, comme pour des cancers, pour soigner les personnes avec beaucoup d’efficacité. Nous créons des statistiques d’évolution des maladies comme la skizophrénie, les troubles bipolaires pour intervenir au stade précoce

Nos équipes interviennent sur l’ensemble du département des Pyrénées-Orientales à bord de bureaux mobiles dans des camions, qu’on appelle des psytrucks. Nous allons voir les personnes pour lesquelles nous avons été alertés, qui ne peuvent pas se déplacer. Cette équipe, qui soigne les troubles de personnes à haut risque de troubles débutants, existe depuis 2020.

Est-il important pour un senior de maintenir ou de chercher continuellement un sens à sa vie ?

C’est absolument fondamental. Il faut vraiment y être attentif. C’est d’ailleurs d’autant plus important lorsque l’on avance en âge. Trouver un sens ou trouver un nouveau sens à sa vie. Les personnes qui entourent les personnes âgées doivent savoir déceler des signaux d’alerte, surtout lors de moments charnières dans l’existence des seniors, pour les aider à retrouver ce sens. Ces signaux, on les connaît bien : un changement dans les habitudes qui peut étonner l’entourage, quelqu’un qui se met en retrait, qui ne donne plus signe de vie ou encore qui écrit une lettre particulière.

Concrètement, il existe des formations pour devenir sentinelle. Elles sont proposées au niveau national, mais sont déclinées dans chaque département par l’ARS*, et sont très concrètes. Elles donnent des outils pour déceler des signes de fragilité. Il serait totalement légitime que les personnes travaillant dans les Maisons d’Alliance y aient accès.

Pourquoi est-ce important d’entretenir sa vie spirituelle pour le « bien vieillir » ? Comment peut-on maintenir du sens avec l’avancée de l’âge ?

La vie spirituelle fait partie de la vie, elle permet d’entretenir une dimension dans la transcendance qui peut aider les personnes qui en ressentent le besoin. Si l’on creuse, on s’aperçoit que chacun le ressent, qu’il soit ou non croyant. Cette quête de la transcendance peut s’exprimer par l’appartenance à une religion mais aussi d’autres façons.

Il y a aussi le côté intellectuel et artistique. Maintenir de l’interaction et du lien avec d’autres personnes. Surtout ne pas s’enfermer dans quelque chose d’appauvrissant sur le plan intellectuel, sur celui de la créativité et dans le spirituel. Ces structures de Béguinage permettent sûrement de faciliter ces interactions.

Dans votre travail, avez-vous des seniors qui ont eu une passion qui s’est dévoilé tardivement et a changé leur vie ?

Oui, c’est intéressant que vous me demandiez cela, parce que vraiment j’en ai déjà vu. C’est une idée reçue de penser que parce qu’on est âgé, on va abandonner toutes ses envies, toutes ses passions. Tout ce qui fait la vie : la passion, la vie, l’espoir sont toujours là. Le corps change mais les personnes restent inchangées à l’intérieur.

Quel est selon vous le danger à éviter pour une personne âgée ?

C’est une période difficile pour nos seniors. Il y a la solitude, oui. Mais aussi la solitude due à ces deuils qui jalonnent nos vies et qui font des vides autour de nous. Il y a la maladie, avec le corps qui souffre et périclite, puis la dépendant physique, notamment pour les besoins fondamentaux. C’est humiliant pour certains, ce doit être géré avec grande délicatesse.

Il serait nécessaire de retrouver le transgénérationnel qui a toujours existé. Ne pas forcément mettre les personnes âgées entre elles mais leur permettre de croiser des enfants ou des étudiants qui partagent des logements…

Pour finir, pourriez-vous nous parler de votre projet au Bénin ?

Nous travaillons en Afrique avec une ONG, l’Association Saint Camille de Lellis*, fondée par Grégoire Ahongbonon. Son parcours est atypique. Il était réparateur de pneus puis a eu une expérience personnelle de la dépression qui l’a conduit à la rue. Il s’est rendu compte de la souffrance et de l’abandon auxquels les personnes souffrants de troubles mentaux font face, particulièrement en Afrique où il n’y a aucun système de sécurité sociale. Les personnes se retrouvent en errance, sans rien et souvent enchaînées. Ce monsieur a réussi à monter un système au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Burkina-Faso et au Togo notamment, pour aller chercher les malades dans la rue et effectuer un travail de réhabilitation. Au Bénin, environ 100.000 personnes en bénéficient sur tout le territoire. C’est un véritable système de santé à l’échelle d’un pays et une expérience passionnante qui se fait sans aucun argent public.

Pouvez-vous nous dire concrètement quel est votre rôle lorsque vous allez en Afrique ?

Depuis 10 ans, nos équipes vont soutenir ces dispensaires qui sont à plusieurs milliers de kilomètres les uns des autres. Plusieurs fois par an, nous nous déplaçons dans ces structures pour des entretiens et des formations en connaissances psychiatrique auprès des aidants, qui sont souvent des religieuses. Elles sont capables de faire des consultations et donner des médicaments. Au Bénin, il y a une trentaine de centres dans tout le pays avec des structures d’hospitalisations (4) et de consultations (environ 30).

Pour finir, pouvez-vous nous parler de la condition des personnes âgées en Afrique, comment sont-elles prises en charge ?

En Afrique, la configuration démographique n’est pas la même que chez nous. Ce sont des familles avec plus d’enfants. Il n’est pas rare de voir une jeune femme de 25 ans avec 7 enfants. La structure de la famille est très différente. Les anciens sont extrêmement respectés et pris en charge par leurs proches.

*ARS : Agence Régionale de Santé. Organise de tutelle qui permet de gérer les aspects financiers des structures sanitaires publiques, privées, ainsi que le médico-social.

*l’Association saint Camille de Lellis : www.amis-st-camille.org

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